Le savoir-faire des souvenirs.
Hier, je fêtais les 10 ans de la sortie de mon premier roman. Beaucoup de romans écrits, et mille aventures, voyages et rencontres en 10 ans. La chemise est froissée mais le coeur est intact.
Des déménagements aussi. De la rue d'Auteuil, à la rue Michel-Ange, puis la rue de Sèvres et Deauville aujourd'hui. Vidé le grand pavillon du domaine de Marsinval pour installer ma mère à Marly-Le-Roi, et puis en à peine une année, son décès et encore un appartement à vider. Aujourd'hui j'ai de nouveau tenté de faire le tri et de me débarrasser du désormais inutile, passé à la broyeuse tout un tas de papiers administratifs, de factures, concernant mes parents. Il y a des choses que je ne me résous pas à jeter, à déchiqueter en lambeaux. Des trucs idiots comme des tickets de caisse Monoprix, sur lesquels s'égrène la liste des commissions que nous achetions ensemble ma mère et moi quand je l'accompagnais une ou deux fois par semaine, l'aidant pour faire ses courses. Je peux me replonger dans ce moment heureux des courses avec elle rien qu'en lisant la liste des produits. Des produits qui seront jamais rattachés à elle, ce qu'elle aimait - un paquet de quatre îles flottantes Senoble par exemple - et dans les premiers mois de sa disparition il m'était impossible de tomber sur tel ou tel produit sans que me montent aux yeux des sanglots. Toutes ces petites choses ridicules, ces produits de consommation, qui pourtant donnent des marqueurs à nos territoires affectifs.
Dans les papiers à jeter, pas mal de photos qui témoignent de la richesse des vies qu'ont eues mes parents, avant de se rencontrer, sur le tard. Des photos de tas de gens que je ne connais pas et que j'ai du mal à jeter pourtant, comme si c'était un sacrilège, et que leurs fantômes allaient me pourchasser la nuit.
Jeudi 2 février, c'est la chandeleur. J'ai le souvenir de mon père préparant des crêpes à la maison. La seule fois de l'année où il était en cuisine. Enfant, à la Garenne-Colombes, dans l'appartement de la rue Cambon, je me souviens qu'il faisait un quatre-quarts, un gâteau qu'il avait tendance à cramer un peu et qui était un peu sec aussi. Quand nous avons déménagé à Marsinval, la recette du quarte-quart est resté dans les années 70, mais il a continué à faire des crêpes. Salées et sucrées. Magnifiques. Qu'il faisait voltiger à merveille et qui après avoir frôlé de quelques centimètres le plafond retombaient de manière aérienne - tu parles, pour un aiguilleur du ciel - et gracieuse dans la poêle.
Impossible de faire aussi bien. Même pas envie d'essayer. Je suis donc allé acheter des crêpes à la boulangeries, pour marquer le coup de la Chandeleur. Pas d'humeur à rivaliser avec le savoir-faire des souvenirs.